Comment vit-on avec moins de 700 euros par mois ?
Que trouve-t-on comme travail, quand on est une quadragénaire sans qualification ? Des boulots de femmes de ménage qui vous ravagent le corps ("en un quart d'heure, mes genoux ont doublé de volume, mes bras sont dévorés de fourmis..."). Des petits chefs qui craignent de se faire virer et redoublent d'exigence, allongeant votre temps de travail au-delà de ce qui sera payé. Des horaires infernaux, tôt le matin, tard le soir, souvent week-ends et jours fériés.
"Le quai de Ouistreham" raconte, concrètement, précisément, comment on vit aujourd'hui en France avec moins de 700 euros par mois. Comment des lycéens sont obligés de travailler pour survivre. Comment des jeunes décident à vingt ans de se faire arracher toutes les dents et de porter un dentier, faute de pouvoir payer un dentiste. Et comment la solidarité, chez les démunis, n'est pas un vain mot.
De cette précarité totale, la journaliste rend remarquablement compte dans ce livre émouvant et souvent drôlissime. Au milieu des discours menteurs, Florence Aubenas incarne aujourd'hui une voix pour les sans-voix.
On dit souvent qu’il existe plusieurs sortes de littératures : la littérature de plage (des livres pour se changer les idées), la littérature de salon (des livres pour montrer que l’on sait ce qu’il faut lire) et la littérature de chevet (des livres que l’on garde longtemps près de soi et qui nous nourrissent). Avec son “Plaidoyer pour le bonheur”, Matthieu Ricard a écrit ce qui est devenu mon livre de chevet pour cet hiver.
L’ouvrage propose une synthèse assez exhaustive de ce que la psychologie scientifique et le bouddhisme peuvent nous apporter au sujet du bonheur. Il s’agit, comme son titre l’indique, d’un plaidoyer pour un bonheur accessible à chacun, quelles que soient ses richesses matérielles ou culturelles, quels que soient son passé, son milieu. Et du rappel des grands principes permettant de l’atteindre : travail sur soi, présence et ouverture au monde, vie au présent (« Prenez soin des minutes, les heures prendront soin d’elles-mêmes »), générosité et altruisme (« Le bonheur fait-il la bonté, ou la bonté, le bonheur ? »), contrôle des émotions perturbatrices (notamment le désir, la haine, la jalousie), etc.
Simple, n’est-ce pas ?
Pourtant les cabinets des psychothérapeutes sont remplis de personnes en difficulté pour mettre en œuvre ces choses simples. C’est pourquoi Matthieu Ricard parle du "baume de la simplicité". Il nous rappelle de ne pas perdre de vue nos besoins fondamentaux, dont notre ego, à la recherche de biens matériels ou de victoires intellectuelles, nous éloigne bien souvent à grande vitesse. Le chemin du bonheur passe par l’intelligence du cœur plus que par celle du cortex, et par la pratique plus que par le discours.
La partie la plus étonnante de l’ouvrage – et la plus stimulante pour le psychiatre que je suis – est celle où Matthieu Ricard raconte le dialogue entre bouddhisme et neurosciences. Depuis 1985, se déroulent régulièrement des rencontres entre "pratiquants" de ces deux disciplines, au cours desquelles les spécialistes de ce que l’on nomme les sciences cognitives se penchent sur les cerveaux en action des moines bouddhistes. Et y découvrent des phénomènes étonnants ! Il semble ainsi que la pratique régulière de la méditation puisse permettre une régulation quasi volontaire d’activités cérébrales aussi complexes que la production d’émotions positives, comme la compassion ou la perception subliminale d’états émotionnels chez autrui. Tout ceci est passionnant, joyeusement vertigineux, et préfigure l’avenir possible et souhaitable de la psychologie : encore plus de science et encore plus d’humanisme. Un livre qui ne quittera plus mon chevet.
(Christophe André)
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